Publié tous les week-ends/ Published every weekend


You can read English stories from En direct de l'intestin grêle on Straight from the Bowels.

Ne serait-il pas merveilleux si ces histoires étaient vraies? Malheureusement (ou heureusement) ce n'est pas le cas. Elles ne sont que le fruit de mon imagination fertile. Tous les personnages et les événements décrits sont fictifs et si vous croyez vous reconnaître ou reconnaître une de vos connaissances, ce n'était pas mon intention et ce n'est qu'une coïncidence. J'espère que ce blogue vous plaira. N'hésitez pas à en faire circuler le lien où vous vous promenez sur l'Internet et à laisser des commentaires ci-dessous. J'aime bien entendre parler de vous.

Geoffroy


2011-12-23

Un conte de Noël



petits garçons, Père Noël
Deux petits garçons écoutent attentivement le Père Noël qui leur explique qu’il va s’introduire par effraction dans leur demeure au beau milieu de la nuit, s’empiffrer du contenu de leur réfrigérateur et laisser des choses dans leurs bas ou leurs chaussures avant de partir. Si certains enfants sont charmés par ce concept, d’autres, à juste titre, remettent en cause la moralité d’un tel comportement.

C’était la première semaine de décembre il y a de nombreuses années. Nouvellement marié, j’étais assis sur le canapé avec celle qui allait devenir plus tard mon ex-épouse.

– Je me demande où nous devrions mettre le sapin de Noël, dit-elle.

– Le sapin de Noël? Pas question de mettre un arbre mort dans le salon! répondis-je.

– On pourrait acheter un sapin artificiel, tu sais...

– Pas question de mettre un faux arbre mort dans le salon!

« Ce que femme veut, Dieu le veut » et j’ai finalement cédé à sa volonté, mais à une condition : que ce soit moi qui pose le petit ange au faîte de l’arbre.

Ma femme était étonnée de ce vœu et je lui racontai donc d’où venait la tradition de mettre ce volatile au sommet d’un sapin.

chat, décoration de Noël, arbre de Noël
Un volatile, ça vole et comme un ange ça vole aussi, un ange c’est un volatile. C’est ce que le chat de la petite Genève avait bien compris en grimpant dans l’arbre de Noël à la recherche d’une collation. Photo M. Cloer

C’était une semaine avant Noël. Le Père Noël s’était levé de bonne humeur, était descendu pour préparer du café et mettre deux tranches de pain à griller. Il venait de s’asseoir à table quand il lut en première page du journal :

« Rudolph, le petit renne au nez rouge, a été arrêté avec un taux d’alcoolémie deux fois supérieur à la limite permise. »

N’en croyant pas ses yeux, le Père Noël continua de lire pour apprendre que le chef de son attelage de rennes, en état d’ébriété avancée, avait renversé quatre cheminées, qu’une fois arrêté il avait refusé de subir l’alcootest, qu’il avait déclenché un esclandre et qu’on l’avait emmené à la gendarmerie, menottes aux sabots, pour le mettre en prison jusqu’à ce qu’il puisse être jugé, le 28 décembre.

Encore sous le choc, le Père Noël continua de lire le journal pour apprendre que Legolas et Elrond, les contremaîtres de ses elfes, annonçaient que ceux-ci allaient cesser la production de jouets et déclencher la grève avant Noël pour dénoncer les mauvaises conditions de travail dans l’atelier du Père Noël, pour protester contre les heures supplémentaires non payées et exiger de meilleurs avantages sociaux.

Le Père Noël s’étouffa avec son café et le renversa sur son bel habit rouge qu’il avait à peine été chercher au « pressing » la veille.

Le Père Noël, qui n’est pourtant pas un personnage atrabilaire, était maintenant d’une humeur exécrable.

C’est à ce moment que le détecteur de fumée se déclencha : ses rôties étaient en train de brûler dans le grille-pain!

Vite, il alla ouvrir les fenêtres pour évacuer la fumée, pestant et prononçant des jurons trop grossiers pour que je les répète ici.

C’est à ce moment qu’un petit ange entra avec un conifère sous le bras et lui demanda :

– Père Noël, que voulez-vous que je fasse avec ce sapin?

«... C’est ainsi que naquit cette belle tradition », expliquai-je à mon épouse qui me regardait abasourdie en commençant à regretter les vœux qu’elle avait prononcés...

sapin, arbre de Noël, décorations, cadeaux, présents
Par souci de rectitude politique, on voit de moins en moins de petits anges au sommet des arbres de Noël. En fait, on parle de moins en moins de Noël et plutôt du « temps des Fêtes » pour éviter d’offenser des gens de foi non chrétienne qui souvent s’en foutent royalement. Merci à Madame Boudreault pour la photo.



Joyeux Noël aux milliers de lecteurs de quelque 60 pays qui ont visité En direct de l’intestin grêle cette année.

2011-12-17

Le percepteur



Ce matin-là, quand Matthieu sortit de la maison pour aller travailler, il y avait une carcasse de porc éventré sur le pas de sa porte.

Dégoûté à la vue de la charogne, Matthieu appela son serviteur pour qu’il l’enlève et nettoie l’entrée de la maison, puis il se dirigea vers l’écurie pour chercher son âne.

Dans la ruelle qui menait à l’étable, quelqu’un à l’étage d’une maison voisine jeta le contenu d’un pot de chambre par la fenêtre. Matthieu évita de justesse d'être aspergé par les excréments. Quand il leva la tête pour voir le coupable, il n’y avait évidemment plus personne.

Il pouvait entendre son âne braire dans sa stalle et pour cause : pendant la nuit on avait maculé le baudet de peinture verte.

Les passants se gaussaient de lui tandis qu’il se rendait au travail sur son âne barbouillé.

âne, piquet, dessin
L'âne est renommé pour sa paresse et son entêtement. Néanmoins, il est un moyen de transport plus économique que le dromadaire ou le cheval.


Combien il détestait son emploi de percepteur! Bien sûr, le salaire était bon, il y avait la sécurité d’emploi, les avantages sociaux, mais il fallait aussi compter sur le mépris et la réprobation de ses compatriotes.

De tout temps, il est bien connu que personne n’aime payer les impôts et tous croient, à tort ou à raison, que les finances de l’État sont mal gérées au profit de l’administration publique et de la classe dirigeante.

Le bureau du fisc avait affecté Matthieu à Capharnaüm, sur les bords du lac de Tibériade, que les Juifs s’obstinaient à appeler mer de Galilée par dépit envers Tibère, empereur de l’envahisseur romain. Matthieu n’était pas à la solde des Romains toutefois : il était fonctionnaire pour le gouverneur de la région, Hérode Antipas, un Juif qui avait grandi et été instruit à Rome.

Hérode, adulé par certains pour les travaux d’infrastructure qu’il faisait exécuter à grands coups de recettes fiscales, était haï par d’autres qui le considéraient comme vendu aux Romains et qui lui reprochaient ses mœurs dissolues.

Arrivé au travail, Matthieu attacha sa monture à l’ombre, derrière la bâtisse, et s’assura qu’il y avait assez d’eau dans le bassin où l’animal pourrait s’abreuver quand le soleil serait haut.

Il entra ensuite dans son bureau, se préparant psychologiquement à rencontrer des marchands et des commerçants qui lui mentiraient effrontément au sujet de leurs revenus et de leurs ventes pour ensuite le supplier, oubliant toute dignité, dès qu’il les menacerait de contrôle fiscal.

À l’heure du déjeûner, Matthieu sortit pour prendre son âne et se restaurer sous un palmier avant de faire la sieste.

La bête gisait, morte, toujours attachée : on avait empoisonné l’eau de l’abreuvoir.

Matthieu regardait le cadavre de l’animal avec consternation, anéanti par la méchanceté des gens et se voyant dorénavant marcher la dizaine de kilomètres qui séparaient Capharnaüm de Tibériade, la capitale de la région, pour aller présenter son rapport hebdomadaire à l’administration du fisc.

Capharnaüm signifie en hébreu « village de la consolation », mais Matthieu, découragé, regardait autour de lui le poste de douanes, le marché dont les étals croulaient sous les denrées, les entrepôts pleins à craquer de marchandises entassées pêle-mêle qui attendaient d’être acheminées par caravane ou par barque vers d’autres villes, d’autres pays.

Son regard s’arrêta sur la caserne de la centurie chargée de faire régner l’ordre dans la ville. Il savait que les soldats se moqueraient de lui s’il allait déclarer la mort de son âne et qu’il ne serait jamais dédommagé.

Il vit l’auberge et décida d’y boire un pichet de vin.

La salle était enfumée par les narguilés et les clients qui le virent entrer lui jetèrent des regards malveillants. Il y avait une place libre, dans un coin, près de la table où des pêcheurs locaux, Simon, André, Jacques et Jean, discutaient avec un étranger.

narguilé, pipe à eau
Le narguilé est une pipe à eau originaire de l'Inde et qui est très populaire au Moyen-Orient. On s'en sert pour fumer du tabac, souvent aromatisé, mais également des substances illicites.


L’aubergiste balança sans ménagement la cruche de vin sur la table de Matthieu qui, le visage dans les mains, pleurait en silence. Il se versa un verre et, le portant à ses lèvres, remarqua l’étranger assis avec les pêcheurs qui le regardait avec compassion.

Le regard de l’homme le troubla et quand celui-ci demanda à Matthieu : « Dure journée au boulot? » il ne put se contenir et se remit à sangloter. L’étranger se leva et vint s’asseoir à sa table.

L’inconnu, qui disait s’appeler Yeshua, lui inspira confiance et Matthieu raconta tous les malheurs qui lui étaient arrivés depuis le matin.

Yeshua l’écouta en silence puis lui dit :

– Nous avons tous notre croix à porter, moi peut-être un peu plus que d’autres. Mais viens avec moi et nous vagabonderons ensemble sur les routes poussiéreuses de Galilée. Nous mangerons une nourriture quelconque chez qui voudra bien nous nourrir et nous dormirons à la belle étoile pour nous réveiller trempés par la rosée. Un jour, après ma mort, tu pourras écrire tout ce que tu auras vu et entendu. Puis, tu te rendras en Éthiopie où tu seras lapidé par les soldats du roi pour avoir critiqué la débauche du souverain. Je suis désolé, mais je ne peux rien faire d’autre pour t’aider. Ça t’intéresse?

Nouveau Testament, Évangile selon Matthieu
L'Évangile selon Matthieu est le récit des quelques années que Matthieu, saint patron des percepteurs, des comptables et des fiscalistes, passa avec Jésus. Le compte rendu de son recrutement au sein des apôtres est avare de détails c'est pourquoi l' Intestin grêle tente d'y remédier.


Était-ce le vin ou le désespoir? Quoi qu’il en soit, Matthieu trouva que l’idée de tout laisser tomber pour mener une vie d’errance et d’aventures était préférable au sort qui l’attendait en demeurant employé du fisc.

Il ne lui fallut qu’un moment pour accepter.

Quand Matthieu et Yeshua furent sortis de l’auberge, Simon souffla à André :

– Je t’avais bien dit que ça marcherait! Il nous reste de la peinture verte. On recommence avec l'âne de quelqu'un d'autre ce soir?

Et André répondit :

– D'accord! Essayons avec celui de Judas, le crétin qui travaille au bureau de change et qui se plaint toujours qu’il lui manque 30 pièces d’argent!

2011-12-13

Le majestueux bison



Plus d’un demi-siècle s’est déjà écoulé depuis ma naissance... Tellement de choses peuvent changer en 50 ans.

Par exemple, il n’a fallu que 50 ans pour que la population de bisons d’Amérique (bison bison) qui paissait dans les prairies de l’Ouest soit réduite de plus de 100 millions d’individus à une poignée seulement.

Le majestueux bison : l’emblème de la province du Manitoba, le fier bovin qui pare le drapeau de l’État du Wyoming, le gagne-pain de « Buffalo » Bill Cody et le moyen de subsistance de générations d’Autochtones américains régnait incontestablement dans les vastes plaines d’Amérique. Il n’avait que peu de prédateurs, à part l’ours grizzli et le loup, et il était heureux de brouter, de se reposer et de ruminer avant de se déplacer vers un nouveau pâturage.

Sa taille impressionnante – un bison des plaines mâle (bison bison bison – celui ou celle qui trouve les noms latins des espèces animales manque évidemment d’imagination de temps en temps) pèse près de 1 000 kilos – son mauvais caractère quand on le dérange, sa vitesse et son agilité (un bison court à plus de 60 km/h et saute près de deux mètres en hauteur) et sa tendance à se ruer en troupeau lorsque les moustiques le dérangent en font un animal qu’il vaut mieux ne pas contrarier.

bison, gravure, corne, barbiche
Un bison des plaines se reconnaît du bison des bois (bison bison athabascae) par sa taille (le bison des plaines est plus petit) et par la forme de sa bosse qui est arrondie tandis que celle du bison des bois est équarrie. Les deux bêtes sont tout aussi irascibles l’une que l’autre.


La gestation du bison d’Amérique est de 285 jours et un mâle est en mesure de se reproduire à trois ans. Toutefois, dans un troupeau, les mâles plus âgés font preuve d’autorité pour empêcher les plus jeunes de se reproduire. Par conséquent, jusqu’à ce qu’il soit assez vieux et assez gros, le bison mâle doit se contenter de garder un œil concupiscent sur les femelles de ses aînés en pratiquant sa technique d’accouplement sur ses congénères mâles plus jeunes, à leur grande consternation.

Le XIXe siècle a été dur pour le bison d’Amérique. Les colons européens envahissaient l’ouest et rencontraient des Autochtones qui délaissaient leur patrie de mauvais gré pour satisfaire la cupidité des nouveaux arrivants envers de nouvelles terres. Des réserves ont été mises en place pour y confiner les indigènes, mais certains refusaient de s’y établir. Il fut donc décidé de les affamer en tuant les bisons dont ils dépendaient grandement pour se nourrir et faire du commerce.

Ce qui est pis, les nouveaux Américains posaient des centaines de kilomètres de voie ferrée partout où ils allaient, souvent en utilisant les sentiers que les bisons avaient tracés pendant leurs migrations.

Comme tout animal migrateur, le bison d’Amérique aimait bien ses sentiers et comptait bien les réutiliser peu importe s’ils étaient occupés par un chemin de fer ou non. Savez-vous combien il est difficile de respecter un horaire de train quand à n’importe quel moment un troupeau de bison peut décider de traverser la voie? Voilà donc une autre excellente raison de chasser le bison.

Finalement, la révolution industrielle infligea le coup de grâce au bison d’Amérique.

Les nouveaux moteurs à vapeur et à explosion avaient besoin de courroies d’entraînement solides pour faire tourner leurs engrenages. Les meilleures courroies étaient fabriquées au moyen du cuir épais tiré de peaux de bison. Le secteur de la fabrication, dont la productivité augmentait en raison de la mécanisation des usines, pouvait dorénavant mettre sur le marché nombre de nouveaux produits dont certains nécessitaient un assemblage complexe. Grâce à l’hydrolyse, les os de bison pouvaient être transformés en collagène, une excellente colle pour joindre des pièces. C'était bien avant l’invention du ruban adhésif, du Velcro et des attaches auto-bloquantes, à une époque où la fixation des pièces était quelque peu compliquée.

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Des os de bisons en voie d’être chargés dans un wagon du chemin de fer Canadien Pacifique à destination d’une usine de fabrication de colle. Photo: Bibliothèque et Archives Canada / PA-066544


C’est ainsi que la chasse a continué jusqu’à ce que tout le cheptel de bison d’Amérique soit réduit à quelques bêtes à peine.

Heureusement, selon la légende, en 1881, un agriculteur du Dakota du Sud a acheté les cinq derniers veaux de bison, ce qui a permis de préserver l’espèce. En une trentaine d’années, un troupeau de quelque 1 000 bisons broutait de nouveau dans la grande prairie, ce qui a donné lieu à une nouvelle controverse.

Des tests d’ADN ont permis de déceler la présence de gènes de bovins ordinaires dans ceux des bisons. Si vous étiez une vache Jersey de 300 kilos en train de brouter paisiblement et que, soudainement, vous vous apercevez qu’il y a un bison d’une tonne qui en assez de forniquer dans la fange avec ses compagnons et qui vous fait des yeux doux de l’autre côté d’une clôture par-dessus laquelle il peut facilement sauter, que pourriez-vous faire d’autre?

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La vache Jersey est populaire parce que son lait est de grande qualité, qu’elle est de petite taille et qu’elle est très féconde. Image: Nathan Greenwood / FreeDigitalPhotos.net