Publié tous les week-ends/ Published every weekend


You can read English stories from En direct de l'intestin grêle on Straight from the Bowels.

Ne serait-il pas merveilleux si ces histoires étaient vraies? Malheureusement (ou heureusement) ce n'est pas le cas. Elles ne sont que le fruit de mon imagination fertile. Tous les personnages et les événements décrits sont fictifs et si vous croyez vous reconnaître ou reconnaître une de vos connaissances, ce n'était pas mon intention et ce n'est qu'une coïncidence. J'espère que ce blogue vous plaira. N'hésitez pas à en faire circuler le lien où vous vous promenez sur l'Internet et à laisser des commentaires ci-dessous. J'aime bien entendre parler de vous.

Geoffroy


2012-01-22

Triste nouvelle



Ce jeudi-là, après m’être levé, avoir pris une douche et m’être habillé, je suis allé à la cuisine pour déjeûner. Ma petite amie faisait la gueule devant son bol de céréales.

Je lui ai donné un baiser sur la joue et, comme je m’asseyais devant elle avec mes toasts, elle continuait de regarder devant elle, le regard vide.

« Qu’est-ce qui se passe, mon amour? » lui demandai-je.

Elle ne répondit pas. Je ramassai le journal sur la table et c’est alors que j’ai tout compris. En première page, en caractères gras, je lus :

Le ministre canadien de la Défense épouse une princesse persane

Il semble que, pendant que ma petite amie et moi dormions, Peter MacKay, un homme d’action, eusse épousé sa fiancée d’origine iranienne, Nazanin Afshin-Jam, au Mexique, le pays de La Cucaracha.

Personne n’ignore que toutes les Canadiennes entretiennent des pensées lubriques à l’égard de Peter MacKay, « le député le plus sexy à la Chambre des communes ». Ce jour-là, leurs rêves venaient de s’effondrer.

J’étais au courant des fantasmes de ma petite amie, mais je n’étais pas jaloux, en autant que MacKay ne rode pas autour de chez moi (à moins que ce ne soit pour tondre la pelouse, ramasser les feuilles mortes ou sortir les poubelles). Je suis un homme sensible cependant et le chagrin de ma douce ne me laissait pas indifférent.

Peter MacKay, le député du comté de Central-Nova en Nouvelle-Écosse, est le mâle par excellence. Il est avocat, il joue au rugby avec ses copains, il adore le plein-air et la compagnie de son chien Jack, un bouvier bernois. Il fréquente des soldats qui, selon la presse, n’hésitent pas une seconde à aller le ramasser dans des coins de pêche reculés à Terre-Neuve-et-Labrador avec des hélicoptères de recherche et de sauvetage.

À titre de ministre de la Défense nationale et d’ancien ministre des Affaires étrangères, deux des postes les plus influents du Cabinet fédéral, Peter MacKay a droit au respect.

Par le passé, les médias ont lié M. MacKay à des femmes, toutes jolies et puissantes, comme l’ancienne secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, et Belinda Stronach, la fille du magnat de l’industrie de la fabrication des pièces d’automobiles au Canada.

Belinda Stronach et Peter MacKay étaient députés du Parti conservateur. En 2005, juste avant la tenue d’un vote crucial pour le gouvernement libéral minoritaire, Stronach a changé de camp, ce qui a permis au gouvernement libéral de conserver le pouvoir pendant encore quelques mois. Peter MacKay, un Conservateur convaincu, n’en avait été averti que quelques heures à l’avance. Il avait été dévasté.

Le cœur brisé et abattu par cet événement imprévu, Peter MacKay a été photographié le lendemain, chez lui, en Nouvelle-Écosse, en compagnie de son chien, le plus fidèle ami de l’homme.

Mais tout ça, c’est le passé. Maintenant, M. MacKay a une nouvelle et brillante épouse. Nazanin Afshin-Jam est diplômée en Relations internationales et en Sciences politiques et détient une maîtrise en Diplomatie internationale. Elle est également généreuse. Elle milite pour les droits de la personne et a mené avec succès une campagne pour obtenir la libération et l’amnistie d’une jeune Iranienne accusée d’avoir poignardé un homme qui avait tenté de la violer. Elle est actrice, mannequin, chanteuse, sans oublier ancienne détentrice du titre de Miss Canada Monde.

On me dit qu’elle possède également un permis de piloter. Si elle apprend un jour à piloter un hélicoptère Sea King, tous les contribuables canadiens lui en seront éternellement reconnaissants.

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L’hélicoptère Sikorsky S-61 Sea King a été conçu à la fin des années 1950 pour faire la chasse aux sous-marins. On a constaté plus tard qu’il était également tout à fait adéquat pour les missions de recherche et de sauvetage. Image: Tom Curtis / FreeDigitalPhotos.net


Ma petite amie avait le cœur gros et je la quittai avec regret pour aller travailler. Pour sa part, elle était tellement bouleversée qu’elle avait pris congé pour la journée.

Au bureau, tout le monde parlait du mariage de Peter Mackay. Les femmes étaient en deuil ou tout simplement en furie, tandis que les hommes se réjouissaient de ne plus avoir à se demander si leurs femmes fantasmaient à propos d’un avocat de la Nouvelle-Écosse pendant qu’ils leur faisaient l’amour.

J’ai téléphoné à la maison une ou deux fois pendant la journée pour essayer de relever le moral de ma petite amie. À l’autre bout du sans-fil, elle était mélancolique.

En revenant d’une pause-cigarette, un gardien me confia qu’il croyait que Peter MacKay était un poseur.

« Qu’est-ce qui vous fait dire ça? » lui demandai-je.

« Quand Belinda l’a largué, vous vous souvenez de la photo qu’on a publié de MacKay avec son chien? » répondit-il.

« Bien sûr, tout le monde s’en souvient! » remarquai-je.

« Eh bien, ce n’était pas son chien. C’est un chien qu’il avait emprunté pour la photo. La photo était arrangée pour que les gens aient pitié de lui! »

Je suis retourné à mon bureau en me demandant si c’était vrai, étonné que quelqu’un puisse être aussi tordu.

À la maison, j’ai trouvé ma petite amie les yeux rougis, toujours en robe de chambre. En préparant le dîner, j’ai vu que, pendant la journée, elle avait mangé toute la crème glacée. Ma gorge se noua et les larmes me montèrent aux yeux tandis que je ressentais la douleur que pouvait ressentir ma maîtresse.

Ça ne pouvait pas durer, je devais faire quelque chose.

Après dîner, nous avons commencé à regarder la reprise d’une comédie à la télé. Nous étions serrés l’un contre l’autre, mais ma petite amie ne portait pas attention à l’émission. J’ai décidé d’intervenir.

« Tu sais la photo de Peter MacKay avec son chien qu’on a publié quand Belinda Stronach a rompu avec lui? » lui demandai-je.

Elle acquiesca distraitement.

« J’ai appris aujourd’hui que ce n’était pas son chien, que c’était celui de quelqu’un d’autre qu’il avait emprunté pour la photo », continuai-je.

Elle rougit et sa réaction fut immédiate :

« Comment peux-tu insinuer une telle chose! »

« Non, non, je pense que c’était génial! Et je pense qu’il a fait la même chose avec Nazanin, il ne l’a pas vraiment épousée, il ne l’a qu’empruntée, » dis-je en guise de conclusion.

Ma petite amie me regardait, surprise, la tête penchée sur le côté :

« Tu crois? »

« Bien sûr! La politique c’est du spectacle. Il faut produire un effet, attiser l’intérêt des gens, les divertir pour les aider à oublier les vrais enjeux! »

Ses bras m’enlacèrent vigoureusement et elle se mit à m’embrasser avec ardeur.

« Oh toi! Toi! J’aurais dû y penser! Bien sûr! Bien sûr! Tu as raison! Tu as toujours raison! Comme je t’aime! Merci! Merci! »

À ce moment, je sus que la soirée allait bien se terminer pour moi et je me foutais bien si, pendant que nous ferions l’amour, ma petite amie pensait à un joueur de rugby néo-écossais qui aime les chiens.

rugby, hommes, mêlée
Le rugby est un sport violent pratiqué sans aucun équipement de protection. Ce n’est pourtant pas l’activité physique dont les adeptes souffrent le plus de blessures. Il semble que la palme soit remportée par le basketball, le football américain et le cyclisme. Photo licensed by Junkblast


2012-01-13

Le fumeur électronique



Jadis, une de mes amies s’est rendue en France pendant trois semaines pour faire les vendanges. Elle est revenue au Canada un an et demi plus tard après avoir traîné ses pénates partout en Europe et en Méditerranée.

Elle me rendait visite le vendredi soir et, pendant des heures, nous jouions au Scrabble ou au cribbage en buvant du vin et du café.

De bons souvenirs.

Un soir, en entamant la troisième bouteille de vin, mon amie que je n’avais jamais vue fumer, sortit de son sac un paquet de cigarettes égyptiennes qu’elle avait ramené de ses voyages et l’alluma. Moi qui ne fumais pas, pour m’amuser, je lui en demandai une. L’expérience me plut tellement qu’un mois plus tard je fumais un paquet de Gauloises par jour.

J’aime l’odeur et le goût de la cigarette; ils me rappellent mon grand-père fumant du tabac canadien qu’il se procurait chez le cultivateur et mon père qui fumait des Sportsman quand j’étais enfant avant que ma mère et lui ne divorcent.

J’aime les gestes qui accompagnent l’expérience : ouvrir un paquet, sortir la cigarette du paquet, l’allumer en protégeant du vent la flamme du briquet ou de l’allumette, tenir la cigarette entre mes doigts, inhaler profondément la fumée en savourant le goût du tabac, laisser pendre la cigarette au bout de mes lèvres.

Même en fumant distraitement, ces sensations sont irremplaçables.

À l’université, j’avais une petite amie qui ne fumait pas et qui, quand elle se levait avant moi le matin, allumait une de mes Gitanes et me la glissait entre les lèvres pour me réveiller. Il s’agit d’un des souvenirs les plus sensuels de ma jeunesse.

Tout le monde fumait en ces temps-là; c’était l’activité sociale par excellence. On échangeait des cigarettes pour faire connaissance, pour faire durer la conversation, pour prolonger la soirée, pour se donner du cran au travail. Et puis, un café ou un Ricard sans cigarette, ce n’est tout simplement plus la même chose.

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Dans l’excellent film de Jim Jarmusch, Coffee and Cigarettes, Tom Waits réussit à convaincre Iggy Pop que, quand on cesse de fumer, on peut en griller une parce que, de toutes façons, on a arrêté de fumer...

Depuis lors tout a changé. D’abord, les gouvernements ont mis en place toutes sortes de mesures pour rendre l’emballage des produits du tabac moins attrayant. Ensuite, ils ont assujettis ces produits à des taxes régressives faramineuses, ce qui a mis en place un régime de contrebande et de fabrication clandestine de cigarettes.

Au travail, on a relégué les fumeurs dans des pièces mal ventilées, pour ensuite les chasser à l’extérieur, à 10 mètres des portes, à braver les intempéries, faisant fi des règles d’hospitalité et d’hygiène les plus élémentaires. Le même sort attendait ceux qui fréquentaient les bars et les restaurants quelques années plus tard.

C’est donc dans le but de protéger ma santé contre les rigueurs des rudes hivers canadiens que j’ai essayé une cigarette électronique.

La cigarette électronique a été brevetée en 1963 aux États-Unis, à une époque où les effets néfastes de la consommation de tabac n’étaient pas généralement reconnus, ce qui a nui à sa mise en marché.

Une cigarette électronique est environ de la même dimension qu’un stylo-bille et à peu près du même poids. Elle comporte habituellement une diode électroluminescente (LED) pour indiquer son activation, une pile et les circuits électroniques idoines, un vaporisateur et une cartouche contenant le liquide qui produit la saveur et la « fumée ».

cigarette électronique, stylo-bille
La cigarette électronique est activée en aspirant au bout de la cartouche contenant le liquide une fois que celle-ci est vissée au reste de l’appareil.

Ce liquide est à base de propylèneglycol ou de glycérine, produits habituellement utilisés dans les nébuliseurs pour traiter l’asthme. Il contient également des additifs alimentaires ou de la nicotine. La vente de cigarettes électroniques contenant de la nicotine n’est pas autorisée au Canada, mais il est assez facile de se procurer les cigarettes sans nicotine.

J’ai ainsi déboursé 10 dollars pour une cigarette à base d’additifs alimentaires qui devait me procurer l’équivalent de la jouissance que j’éprouverais avec deux paquets.

Hélas, trois fois hélas.

Si cette cigarette électronique m’a donné l’impression de fumer « pour de vrai », j’ai été déçu par son goût et son odeur. Le dispositif produit une odeur douceâtre et a un goût végétal, qui rappelle un peu celui du tabamel qu’on fume avec un narguilé. Je n’ai jamais aimé le tabac aromatisé, je préfère un goût amer et musqué.

Ensuite, le poids et la dimension du dispositif me gêne. Impossible de tenir la cigarette seulement du bout des lèvres, car elle est trop lourde, et sa longueur en rend la manutention incommode.

Enfin, la cigarette électronique produit de la « fumée » qui est en réalité un gaz produit par l’évaporation du liquide sous l’effet de la chaleur du courant électrique de la pile. Cette fumée saura, j’en suis convaincu, déranger certains non-fumeurs ou des ex-fumeurs qui devraient se calmer les nerfs et réapprendre à savourer les plaisirs simples de la vie.

À force de se le faire répéter, il est difficile de ne pas croire que la consommation des produits du tabac est nocive pour le cœur et les poumons. Je suis cependant de ceux qui sont persuadés que si une médaille a son envers, elle a également son endroit. Chaque Romulus a son Rémus et chaque Caïn a son Abel. Si l’usage du tabac demeure populaire malgré tous les efforts pour l’enrayer, c’est que le tabac doit posséder des vertus invulnérables aux campagnes de publicité de l’État et du corps médical.

Si on interrogeait les Autochtones d’Amérique, peut-être pourraient-ils nous mettre sur la bonne piste à ce sujet...

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Au Canada, une photo souvent dégueulasse et une mise en garde menaçante sur les effets de la consommation de produits du tabac doit apparaître sur la moitié de la surface d’un paquet de cigarettes. Sur le côté du paquet, les fabricants doivent énumérer les produits nocifs qui entrent dans la composition du produit. Ce genre d’avertissement pourrait finir par être obligatoire sur les menus de restaurants, à l’entrée des immeubles publics, sur la carosserie des automobiles, etc. Parce que, admettons-le, à peu près tout ce que nous ingérons, tous les lieux que nous fréquentons, tous les produits de consommation que nous utilisons et toutes les activités auxquelles nous nous livrons comportent des risques pour la santé.