Publié tous les week-ends/ Published every weekend


You can read English stories from En direct de l'intestin grêle on Straight from the Bowels.

Ne serait-il pas merveilleux si ces histoires étaient vraies? Malheureusement (ou heureusement) ce n'est pas le cas. Elles ne sont que le fruit de mon imagination fertile. Tous les personnages et les événements décrits sont fictifs et si vous croyez vous reconnaître ou reconnaître une de vos connaissances, ce n'était pas mon intention et ce n'est qu'une coïncidence. J'espère que ce blogue vous plaira. N'hésitez pas à en faire circuler le lien où vous vous promenez sur l'Internet et à laisser des commentaires ci-dessous. J'aime bien entendre parler de vous.

Geoffroy


2012-05-15

Barbarella, reine de la galaxie



Les enfants ne devraient jamais désobéir à leurs parents. Au bout du compte, c’est pourtant inévitable : c’est une question d’émancipation. Désobéir, c’est rejeter la mainmise d’un autre sur soi et affirmer sa propre identité. Enfin, parfois.

Quand nous sommes petits, complètement dépendants de nos parents et de ceux qui prennent soin de nous, les grands nous donnent un abri chaud et sûr, ils nous nourrissent, ils nous gardent au sec saison après saison et en dépit des caprices de notre système digestif et de notre vessie.

Et puis, ils nous enseignent les habiletés de base. Quand et quoi manger et boire, quand, où et comment nous déplacer tout en maîtrisant ces sphincters inconstants, comment s’habiller quand il fait chaud et quand il fait froid.

Nous finissons par grandir jusqu’à être assez vieux pour être usés à force d’avoir trop vécu.

En grandissant, nous nous souvenons d’oublier que quelqu’un nous enseigné la base et nous ne nous rappelons que du temps passé à pratiquer seul ou avec nos pairs nos aptitudes de vie. Nous ignorons que nous devenons la somme des connaissances, de la sagesse, des habitudes, bonnes et mauvaises, de nos parents et de leurs ancêtres.

On dit que les parents ne meurent que lorsque leurs enfants meurent... et même encore. En quittant ce monde nous allons rejoindre une banque de données plus ou moins anonyme dans laquelle nos petits-enfants, nos arrière-petits-enfants et ainsi de suite tireront des informations sans trop y penser.

Mais je divague, retournons à l’émancipation.

En grandissant, il vient un temps où nous ressentons des désirs et des besoins que nos parents ont oublié avoir jamais eus. L’un des besoins que mon frère aîné et moi-même avons découvert à l’adolescence prit une forme particulière et nous savions qu’elle ne recevrait pas l’approbation de notre mère. Ce besoin qui, je ne m’en cacherai pas, frôlait le désir, était Barbarella, la reine de la galaxie.

Mon frère et moi avions été élevés dans la bande dessinée française, à un moment où la BD était en train d’acquérir ses lettres de noblesse à titre de forme valable de littérature. Nous étions trop jeunes pour avoir connu la bande dessinée originale de Jean-Claude Forest Barbarella, mais nous en avions vu quelques bandes. Lorsque Roger Vadim a transformé cette BD en film en 1968 mettant en vedette une très jolie Jane Fonda, sa troisième épouse, dans le rôle de l’héroïne intergalactique, mon frère et moi savions qu’il nous fallait le voir.

Barbarella, jeune femme, épaules dénudées, robe déchirée, blonde, dessin, décolleté
Jean-Claude Forest (1930-1998) était un illustrateur et un auteur français qui a inventé le personnage de Barbarella au début des années 1960. D’abord publiée en feuilleton dans la revue V-Magazine en 1962, la BD de Barbarella a rejoint les rangs des best-sellers et a été traduite dans des dizaines de langues.


Malheureusement, le film ne fut pas un succès commercial et ne s’est pas éternisé dans les salles de cinéma. C’était bien avant les magnétoscopes, les DVD et NetFlix, et il a fallu bien des années avant que quiconque choisissait les films à diffuser sur les ondes de la télé canadienne lui découvre assez de valeur artistique pour l’ajouter à la programmation.

Pourtant, ce film possédait tout pour plaire aux garçons de 14 et 15 ans : un chasseur d’enfants, des poupées cannibales, des gardes habillés de cuir armés de fusils à rayons laser, un méchant aux sourcils broussailleux, inventeur de la « machine excessive », une espèce d’orgue qui faisait jouir ses victimes à mort, un ange aveugle qui vivait dans un nid et qui a réappris à voler après que Barbarella l’eusse initié aux plaisirs de la chair, et une licorne lesbienne borgne, tyran de la ville de Sogo (interprétée par Anita Pallenberg, la compagne de Keith Richards à l’époque).

Et bien entendu, il y avait Barbarella qui portait des vêtements moulants qui en laissaient peu à l’imagination et qui n’arrêtaient pas de se faire déchirer pour qu’elle puisse se changer plus souvent.

Les décors et les accessoires étaient typiques de l’art pop des années 60. L’influence d’Andy Warhol était omniprésente. Le vaisseau spatial de Barbarella était fait de contreplaqué, de caoutchouc et de plastique, des matériaux qui ne se consumaient pas en plongeant dans l’atmosphère en 1968. Le plancher, le plafond et les murs de la cabine du vaisseau étaient recouverts d’une épaisse moquette puisque, à l’époque, les allergies n’existaient pas et la moisissure ne causait pas encore de maladies respiratoires.

Les temps ont vraiment changé.

Vous pouvez vous imaginer combien mon frère et moi avions été ravis lorsque nous avons découvert dans un journal underground qu’un petit cinéma allait présenter le film un soir seulement à 23 h, un vendredi.

Mais il y avait un problème : c’était bien après notre heure d’aller au lit et ma mère ne nous permettrait jamais de sortir le soir pour aller dans le quartier louche où se trouvait le cinéma ou le film érotique était à l’affiche.

Nous avons donc décidé de nous faufiler hors de la maison une fois que ma mère serait endormie.

Nous étions là, mon frère et moi, couchés dans nos lits tout habillés, écoutant la respiration de ma mère dans sa chambre, attendant impatiemment qu’elle s’endorme, craignant sa réaction si elle nous surprenait à quitter la maison ou, pire, si elle se levait au milieu de la nuit pour se rendre compte que nous n’étions pas au lit.

À 14 ans, la désobéissance donne vraiment des sensations fortes.

Enfin mon frère m’a chuchotté « Allons-y »! En portant nos chaussures dans no mains, nous nous sommes dirigés à pas de loup vers la porte, prenant soin de ne pas faire craquer le parquet et espérant que le verrou céderait en silence, que la porte s’ouvrirait sans un bruit.

Dehors, nous nous sommes assis dans les marches de l’escalier pour mettre nos chaussures et nous sommes partis sans un mot. Mon frère et moi étions devenus Tom Sawyer et Huckleberry Finn et nous allions passer la soirée avec la reine de la galaxie avant qu’elle ne devienne militante pacifiste, féministe, gourou vidéo de l’aérobique et chrétienne fondamentaliste.

Barbarella, Jane Fonda, Roger Vadim, jeune femme, fusil laser, maillot une-pièce, espace, science-fiction, érotisme
Avant l’arrivée des magnétoscopes dans les années 1980, un film pouvait être à l’affiche d’un même cinéma pendant des mois. Lorsque les cassettes vidéo sont apparues, bien des gens ont entendu le glas sonner pour les salles de cinéma. Trente ans plus tard, les cassettes vidéo ont disparu après avoir été remplacées par les DVD qui sont en voie d’extinction depuis qu’il est possible de regarder des films sur l’Internet. Les salles de cinéma subsistent toujours.


Dans l’autobus, mon frère et moi avons nerveusement discuté de l’explication que nous donnerions à ma mère si elle s’apercevait de notre absence. C’est donc dans la crainte d’une catastrophe imminente que nous sommes entrés dans la salle presque vide du cinéma.

Puis les lumières se sont éteintes, le rideau s’est levé, le générique s’est mis à flotter à l’écran, Barbarella a commencé à enlever sa combinaison spatiale en 24 images par seconde dans l’apesanteur... et dans mon esprit, ma mère a cessé d'exister.

À la fin du film, mon frère et moi nous sommes rendu compte que le service de transport en commun était terminé et nous avons marché huit kilomètres pour retourner à la maison dans la fraîcheur printanière de la nuit.

Si ma mère s’était aperçu de notre petite escapade, elle n’en a jamais parlé. Peut-être que, après tout, elle connaissait l’importance de l’émancipation.

2012-05-06

Une histoire de chat



Par un samedi matin tranquille, je lisais en prenant un café dans la cuisine de ma maison hantée à la campagne. J’ai entendu une voiture arriver, j’ai mis de côté les Essais de Michel de Montaigne et je suis allé voir à la porte.

Mon amie Monica était dehors et essayait de transporter deux gros sacs d’épicerie dans un bac de plastique.

– Salut! J’ai une surprise pour toi!

J’ai pris les sacs et le bac de plastique et je les ai transportés à l’intérieur. Quand je me suis retourné, Monica était debout derrière moi et tenait dans ses bras un gros chat tigré très apeuré.

– Je te présente Pénélope. Elle a deux ans, elle est dégriffée, stérilisée et elle est propre. Elle est mignonne n’est-ce-pas?

La chatte bondit des bras de Monica pour atterrir maladroitement sur le plancher de la cuisine. Elle regarda autour d’elle, terrifiée par ce nouvel environnement étrange puis s’élança dans le couloir et grimpa dans l’escalier.

– Tu connais mes amis Paul et Andréa? Ils se sont séparés. Andréa habite chez une amie qui est allergique aux chats et Paul part pour une mission de six mois avec l’armée en Allemagne. Alors j’ai pensé : Geoff habite tout seul dans une immense maison à la campagne, il a besoin de compagnie! C’est une bonne idée, tu ne trouves pas?

« Euh... Bien sûr, bien sûr... » répondis-je encore sous le choc d’avoir à accueillir ce félin inopportun.

– Tu n’as pas l’air content. Allez! Ça va être agréable et ça va te faire du bien! Et puis, ce n’est que pour quelques mois, jusqu’à ce que Paul revienne d’Europe!

– Euh... Bien sûr, bien sûr... Euh, tu veux un café?

– Oh, Geoff, je voudrais bien mais il faut que je file! Je dois rencontrer Jennifer, Rose et Sallie qui veulent me montrer un chalet qu’on pourrait louer pour l’été au lac Patterson! Il faut que tu viennes nous rendre visite un de ces quatre! On fera un méchoui!

Monica me donna un bec sur la joue et s’éclipsa, m’abandonnant avec un bac à litière, un sac de nourriture pour chats et l’écuelle de Pénélope sur la table de la cuisine.

J’ai mis un peu de nourriture dans le bol que je plaçai sur le plancher dans un coin de la cuisine, puis je suis monté au premier pour chercher Pénélope.

Je n’ai pas pu la trouver. Pourtant, j’ai cherché partout : sous les lits, dans les placards, dans la salle de bain. Je l’appelai, rien. Elle avait tout simplement disparu.

chat, table, coupe de vin, couverts
Le mimétisme est cette qualité qu’ont certains animaux de se fondre dans leur environnement de façon à les rendre pratiquement invisibles. Sur cette photo, il faut se concentrer très fort pour reconnaître qu’il s’y trouve un chat. Merci à Zebra Jay pour la photo.


« Bon, me dis-je, c’est normal, l’animal a dû s’habituer à bien des changements dernièrement, elle est traumatisée. Je vais la laisser tranquille, quand elle sera prête, elle sortira bien de son trou. »

Pendant trois jours, je n’ai pas vu la chatte. Oh, je savais qu’elle était là parce que je voyais la nourriture disparaître de son bol et la litière était souillée, mais c’était comme si j’avais un chat invisible.

Puis, un soir, pendant que je regardais un film dans le salon, j’ai vu Pénélope s’approcher avec précaution de son bol dans la cuisine. Elle s’accroupit et se mit à manger. Je pouvais l’entendre croquer sa nourriture.

Pendant que je la regardais, je vis une souris sortir d’une fissure dans le plancher et courir vers l’écuelle de la chatte. Pénélope cessa de manger, étonnée par la souris qui prenait un morceau de nourriture du bol pour repartir en trottant avec son larcin. Sans broncher, la chatte se remit à manger.

Je n’en croyais pas mes yeux! De quelle sorte de chat avais-je hérité? J’hébergeais et je nourrissais la bête à l’œil, le moins qu’elle puisse faire c’est de m’aider à me débarasser des rongeurs!

J’étais furieux. Je me suis levé soudainement et quand la chatte m’a vu elle déguerpit vers les escaliers.

Je détalai derrière elle, déterminé à trouver la cachette de la resquilleuse. De nouveau, je regardai partout, jusqu’à ce que je la trouve, sur la plus haute tablette d’un placard, tranquillement couchée sur une pile de serviettes

Le lendemain, je suis allé visiter ma petite amie et je lui ai parlé de ma nouvelle pensionnaire et de l’incident dont j’avais été témoin.

Elle pouffa de rire, puis me dit :

– Après tout ce que cette chatte a vécu dernièrement, elle a besoin d’un peu de stabilité, elle a besoin d’un foyer. Apporte-la moi pour un bout de temps, je m’en occuperai et les enfants seront enchantés.

Ma petite amie avait deux enfants d’une relation antérieure : une fille de cinq ans et un fils de deux ans.

Pendant deux semaines, tout alla étonnamment bien. Pénélope tomba rapidement à court de cachettes dans la maison parce que les enfants arrivaient toujours à la dénicher. Une fois qu’ils l’avaient trouvée, ils lui tiraient les oreilles et la queue en voulant jouer avec elle. Mais Pénélope a découvert que si elle était autour de ma petite amie, elle était protégée des enfants. Après quelques jours, elle commença même à se laisser caresser.

La solidarité féminine avait gagné la partie.

Au bout de deux semaines, ma petite amie offrit l’hospitalité à son ami Marc, qui avait besoin d’être hébergé pendant quelques temps. Il arriva chez elle avec son chien Joe, un berger allemand très vieux et très doux avec un tempérament flatulent.

berger allemand, chien couché
Le berger allemand a la réputation d'être un féroce chien de garde. Pourtant s'il n'est pas entraîné pour la garde, il est un animal très doux qui peut même être timoré.


Pénélope n’apprécia guère cet intrus et attaquait sauvagement le gigantesque animal dès qu’il n’y avait pas de témoins. La chatte était dégriffée,elle ne pouvait donc pas vraiment blesser le chien, mais le vieux Joe était tellement terrifié qu’il perdit complètement la maîtrise de ses sphincters.

Finalement, ma petite amie me passa un coup de fil pour me dire que je devais reprendre Pénélope. Solidarité féminine, mon œil.

Je suis donc allé chercher Pénélope et nous sommes retournés à ma maison de campagne.

Mais à notre retour, j’ai remarqué un changement. D’abord, la chatte ne passait plus son temps cachée dans le placard. Puis, ce soir-là, comme j’étais couché dans le noir, Pénélope vint dans ma chambre, grimpa sur le lit pour se coucher à côté de moi en posant sa tête sur ma main.

J’imagine qu’elle avait fini par comprendre que la grande maison de campagne silencieuse et son propriétaire tranquille étaient préférables aux enfants bruyants et aux vieux chiens nauséabonds.

Lorsque Paul revint de sa mission en Allemagne, il n’a pas voulu reprendre son chat. J’ai gardé Pénélope jusqu’à sa mort, dix ans plus tard, mais je n’ai jamais pu lui faire comprendre qu’elle était sensée attraper les souris.