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Ne serait-il pas merveilleux si ces histoires étaient vraies? Malheureusement (ou heureusement) ce n'est pas le cas. Elles ne sont que le fruit de mon imagination fertile. Tous les personnages et les événements décrits sont fictifs et si vous croyez vous reconnaître ou reconnaître une de vos connaissances, ce n'était pas mon intention et ce n'est qu'une coïncidence. J'espère que ce blogue vous plaira. N'hésitez pas à en faire circuler le lien où vous vous promenez sur l'Internet et à laisser des commentaires ci-dessous. J'aime bien entendre parler de vous.

Geoffroy


2014-04-12

Chronique hospitalière V : Le goéland



Le présent récit fait partie d'un feuilleton. Vous pouvez lire le premier épisode et suivre l'hyperlien à la fin de chaque billet pour lire la suite.

Quand on est entouré de gens qui languissent, sa propre souffrance devient bientôt insignifiante. J’ai vite compris que mes plaintes et mes gémissements ne m’apportaient aucun soulagement et ne faisaient que s’ajouter à la cacophonie de l’aire des civières.

Une infirmière avait confisqué mon flacon d’ibuprofène et l’analgésique qu’on me donnait maintenant n’avait aucun effet sur moi. Je ne pouvais bouger à cause de mes courbatures et le mince drap de flanelle qui me recouvrait ne me réchauffait pas. Je me sentais totalement démuni.

Un infirmier se présenta pour vérifier mes signes vitaux et voyant ma désolation me demanda :

« Qu’avez-vous monsieur? Avez-vous mal? À combien évaluez-vous votre douleur? »

Je ne comprenais pas pourquoi le personnel médical s’obstinait à ce que je lui dise où se situait ma douleur sur une échelle de zéro à dix et j’ignorais comment on pouvait tirer des conclusions valables d’une impression aussi subjective.

« J’ai très mal », lui répondis-je.

« Nous vous avons donné un analgésique il y a deux heures, dit l’infirmier en regardant la planchette sur laquelle on notait mes signes vitaux. Peut-être que ce n’est pas de la douleur que vous ressentez, mais seulement de l’inconfort. »

Je ne me sentais pas d’humeur à jouer sur les mots et je lancai un regard malveillant à l’infirmier.

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La douleur est une sensation subjective liée à un stimulus désagréable. Le seuil de la douleur peut varier grandement d’une personne à l’autre. L’outil le plus commun pour évaluer la douleur est une échelle médicale standardisée graduée de zéro à dix. Son exactitude est discutable.
« Vous avez sans doute raison, dis-je sarcastiquement, mais j’ai aussi très froid. »

« Ah! Dans ce cas, je peux vous aider. »

L’infirmier disparut pour revenir quelques minutes plus tard avec une couverture chaude dont il m’enveloppa et je pus m’endormir d’un sommeil léger.

Pendant cette première nuit dans l’aire des civières, on a trouvé une chambre à ma voisine qui s’était fracturé la colonne vertébrale et j’avais maintenant un nouveau voisin qui vomissait bruyamment derrière le mince rideau qui nous séparait.

Au matin, un homme grand et mince vêtu d’un sarrau blanc me rendit visite.

« J’ai examiné les résultats de votre IRM et j’ai constaté qu’il y a une légère arthrose sur deux de vos vertèbres lombaires ce qui explique votre sténose spinale et pourrait être la cause de votre paralysie. »

Les membres du personnel de l’hôpital parlaient vraiment une langue étrange que j’avais de la difficulté à comprendre. En outre, leur habitude à me visiter sans s’annoncer ni se présenter m’irritait au plus haut point.

« Intéressant, commentai-je ironiquement. Mais qui êtes-vous monsieur? »

« Je suis le docteur Coupal, neurochirurgien. Une intervention chirurgicale à la moëlle épinière pourrait peut-être vous soulager, mais j’ai des doutes compte tenu que l’arthrose est bénigne. Je ne recommande pas cette opération. »

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Au Moyen-Âge, les médecins ne pouvaient exercer une profession manuelle rémunérée. Ce sont les barbiers qui traitaient les plaies et les abcès après avoir obtenu un diagnostic d’un médecin. Ce n’est qu’après la Révolution française que la différence entre médecin et chirurgien a été abolie et que les barbiers ont pu enfin se consacrer uniquement à la coiffure.
 « Si je comprends bien, docteur Coupal, vous me dites que je souffrirais d’arthrite? », dis-je sans vraiment comprendre.

« Non, dans votre cas, il s’agit d’arthrose. L’arthrose est une maladie du cartilage des articulations tandis que l’arthrite est une inflammation des articulations. L’arthrose est une usure, une dégradation du cartilage qui se produit souvent avec l’âge. »

« Et la sténose spinale dans tout ça? », demandai-je.

« La sténose spinale est un rétrécissement du canal rachidien, le canal dans lequel se trouve la moëlle épinière. Dans votre cas, l’arthrose a pu causer ce rétrécissement, mais je le répète, je ne crois pas que la chirurgie soit nécessaire », dit le médecin.

« Vous me rassurez, dis-je. Une opération à la moëlle épinière me semble risquée à prime abord. »

Peu impressionné par mon opinion, le neurochirurgien me regarda d’un air agacé avant d’ajouter :

« De toutes façons, je vais en discuter avec mes collègues et nous en reparlerons. »

Je ne devais plus jamais revoir le docteur Coupal. Je me suis souvent demandé s’il n’existait pas dans cet hôpital une espèce de « Triangle des Bermudes » où pouvaient inexplicablement disparaître tous les médecins.

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Le Triangle des Bermudes est une zone de l’océan Atlantique entre la Floride, Porto Rico et les Bermudes où plusieurs navires et aéronefs auraient disparu mystérieusement. Selon certains, le champ magnétique terrestre serait la cause de ces incidents. La volatilisation des médecins dans les hôpitaux demeure, quant à elle, une énigme.
 Au cours de la matinée, mon amie Lucide m’appela sur mon cellulaire pour prendre des nouvelles et pour savoir si on m’avait donné une chambre. J’en profitai pour lui demander de m’apporter de l’ibuprofène pour soulager mes courbatures.

Comme je terminais ma conversation avec mon amie, un homme aux cheveux noirs et aux sourcils broussailleux arriva avec agitation à mon chevet.

« Alors monsieur, êtes-vous prêt pour votre chirurgie? »

« Quelle chirurgie? », demandai-je, estomaqué.

« Mais l’opération que nous allons vous faire à la moëlle épinière pour dégager votre vilaine arthrose, voyons! »

« Je croyais que cette opération n’était pas nécessaire! Et d’abord, qui êtes-vous monsieur? »

« Je suis le docteur Lépine, neurologue. Qui vous a dit que cette intervention chirurgicale n’était pas nécessaire? »

«Euh... Le docteur... Euh... Je ne me souviens pas de son nom, mais c’est un neurochirurgien qui est venu me voir ce matin, répondis-je confus. Regardez dans mon dossier médical, son nom doit y être écrit. »

« Je ne lis jamais les dossiers des patients, on y raconte n’importe quoi, dit-il nerveusement. Alors? Vous êtes d’accord? Je peux réserver le bloc opératoire? »

Je me sentais coincé. Je ne suis pas de nature impulsive et, particulièrement à ce moment, prendre une telle décision sans pouvoir objectivement en analyser les conséquences me préoccupait.

Le docteur Lépine se balançait nerveusement sur les talons en tapotant avec un stylo sur la planchette où étaient inscrits mes signes vitaux.

« Docteur Lépine, pouvez-vous me garantir que cette arthrose est la cause de mes maux? »

« Vous le garantir? À 100 %? Non, non, mais c’est plausible. »

« Voyez-vous docteur, à l’heure actuelle, je ne peux pas marcher et je crains que, si je subis cette chirurgie, je ne pourrai plus jamais marcher. »

Le docteur Lépine me transperça de son regard.

« Écoutez monsieur. Ne me faites pas perdre mon temps. Si vous n’acceptez pas cette opération, je ne vois qu’une explication... »

« C’est-à-dire? »

« Vous jouez la comédie! Vous faites semblant d’être malade! », dit-il, offusqué.

Le docteur me tourna le dos et fila brusquement, les pans de son sarrau blanc battant derrière lui comme les ailes d’un grand oiseau. Il me fit immédiatement penser à un goéland, cet oiseau de mer qui arrive de nulle part en faisant beaucoup de bruit, qui chie partout et qui repart comme il est venu sans avoir rien accompli.

« En voilà un que j’aimerais bien voir se perdre dans le Triangle des Bermudes », pensai-je.

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Le goéland (du breton gouelan) est en fait une grosse mouette. Ce palmipède au cri désagréable se retrouve à peu près partout ou il y a beaucoup d’eau. Omnivore, il se régale des déchets alimentaires des humains.

Lisez la suite de ce récit dans Chroniques hospitalières VI : Le débordement

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