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Ne serait-il pas merveilleux si ces histoires étaient vraies? Malheureusement (ou heureusement) ce n'est pas le cas. Elles ne sont que le fruit de mon imagination fertile. Tous les personnages et les événements décrits sont fictifs et si vous croyez vous reconnaître ou reconnaître une de vos connaissances, ce n'était pas mon intention et ce n'est qu'une coïncidence. J'espère que ce blogue vous plaira. N'hésitez pas à en faire circuler le lien où vous vous promenez sur l'Internet et à laisser des commentaires ci-dessous. J'aime bien entendre parler de vous.

Geoffroy


2014-05-12

Chroniques hospitalières VII : Le pavillon qui sent bon


English Version


Le présent récit fait partie d'un feuilleton. Vous pouvez lire le premier épisode et suivre l'hyperlien à la fin de chaque billet pour lire la suite.

Outre l’incapacité de me mouvoir, la paralysie comptait pour moi d’autres inconvénients qui m’embêtaient royalement. Par exemple, je détestais ne pouvoir être en mesure de m’habiller, de me laver ou d’aller faire mes besoins seul.

Ainsi, pendant que j’étais à l’aire des civières, j’avais dû renoncer à porter un pantalon et une chemise et je me sentais ridicule de n’être vêtu que d’un caleçon et d’une blouse de patient largement ouverte au dos.

Les vêtements n’ont pas seulement une fonction utilitaire, ils servent également de symbole de la situation d’un individu dans l’échelle sociale. Cette hiérarchie est des plus évidentes dans un hôpital où les patients se retrouvent au bas de l’échelle, à demi-nus.

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Un patient tente vainement de monter l’échelle sociale avec l’aide d’une préposée, sans doute pour retrouver ses vêtements. Malheureusement, il est plus facile de descendre cette échelle que d’y remonter.
Pendant que mon amie Lucide me poussait dans mon fauteuil roulant pour retourner à ma chambre du débordement de l’urgence, je lui faisais part de mes inhibitions.

« Tu sais, quand on entre à l’hôpital, il faut laisser son orgueil à la porte », me dit-elle.

Ces paroles, si pleines de sagesse soient-elles, ne faisaient qu’exposer ma vanité.

Le lendemain, après m’être tortillé sur ma civière pendant une heure, j’avais réussi à enfiler un pantalon. J’étais incapable de le boutonner à cause de mes mains enflées et de mes doigts gourds, mais je parvins à remonter la fermeture-éclair.

Je relevai la tête après avoir accompli cet exploit pour voir une grande femme blonde debout au pied de ma civière qui m’observait depuis un moment.

Même si elle ne portait pas de sarrau blanc, je savais que c’était un médecin tout simplement parce que, comme tous les autres médecins qui étaient venus me rendre visite depuis mon arrivée à l’hôpital, elle était apparue de nulle part.

« Bonjour monsieur. Je suis le docteur Svieta Tiplova, me dit-elle avec un fort accent russe. Comment allez-vous aujourd’hui? »

« Assez bien, merci. Vous êtes neurologue? »

« Non, je suis physiatre et je suis venue évaluer votre condition. »

J’avais cru entendre « psychiatre » et, pendant un instant, j’eus une vision du goulag soviétique dans les steppes enneigées de Sibérie. Je craignais que ce nouveau médecin m’ait été envoyé par « le goéland », le docteur qui croyait que ma maladie était psychosomatique, et que sa présence était une première démarche en vue d’une garde préventive dans un asile d’aliénés.

En voyant mon regard alarmé, le docteur Tiplova m’expliqua qu’elle se spécialisait dans l'étude de maladies de l'appareil locomoteur. Ensuite, elle examina minutieusement mes mains, mes bras, mes épaules, mon cou et mes genoux.

Le docteur Tiplova semblait perplexe, mais je voyais qu’elle réfléchissait profondément. Au bout d’un moment elle finit par dire :

« Écoutez, ça vaut ce que ça vaut, mais je vais porter votre cas au service de médecine interne qui pourra peut-être recommander des tests pour poser un diagnostic formel. »

Après son départ, je me dis que, si j’ignorais la nature du mal qui m’affligeait, le corps médical était tout autant dans l’obscurité quoiqu’il n’eut pas, comme moi, à composer avec la douleur et l’immobilité.

Pour le moment, la visite du docteur Tiplova avait eu un avantage. Pour m’examiner, elle avait demandé à un préposé de me placer dans mon fauteuil roulant et je n’étais plus confiné à ma civière.

Je n’avais pas été à la selle depuis mon admission à l’hôpital et mon amie Lucide m’avait apporté des pruneaux secs qui commençaient à stimuler mes entrailles.

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On suppose que la prune (prunus domestica) a été introduite d’Orient à l’époque des Croisades, ce qui en ferait, par le fait même, un anti-Occident. Séchée, on l’appelle pruneau et elle se conserve très longtemps. Ses vertus laxatives sont légendaires.

J’avançai mon fauteuil roulant jusqu’à la porte du cabinet de ma chambre. Puis, je bloquai les roues de la chaise et, au prix de grands efforts, je réussis à me lever en m’appuyant sur les accoudoirs. Avec difficulté, je fis les trois pas qui me séparaient de la cuvette et je m’assis lourdement sur le siège.

Mes intestins se mirent immédiatement à l’œuvre. Il est difficile de décrire la joie qui m’envahit en m’apercevant que, sur ce plan, mon organisme fonctionnait au quart de tour! Mes mains, mes bras, mes jambes, mon cou pouvaient bien me faire souffrir, mais à ce moment, je vous assure que je me trouvais au paradis!

Toutefois, une fois ma besogne achevée et après avoir essuyé les traces de mon forfait, je me suis retrouvé devant un nouveau défi : comment faire pour me relever de la cuvette? Il y avait bien des barres d’appui affixées aux murs du cabinet, mais mes bras n’avaient pas la force de me soulever.

Alarmé devant mon impuissance, j’étais surtout blessé dans mon orgueil parce qu’il me faudrait demander l’aide d’un préposé pour me relever de ma position gênante.

Pour me consoler, Je pensai à La divine comédie de Dante Alighieri où celui-ci, en traversant les enfers, rencontra une connaissance coupable du péché d’orgueil et condamnée à nager dans une mer d’excréments pour l’éternité.

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Dante Alighieri est le poète et auteur italien qui sût aider à imposer le toscan comme langue littéraire. La divine comédie constitue le récit de sa remontée de l’échelle sociale à travers les neuf cercles de l’enfer, les sept gradins du purgatoire et les neuf sphères du paradis.
Au mur, il y avait un cordon près d’un écriteau portant la mention «URGENCE » en lettres rouges. Humblement et avec contrition je le tirai avec force.

Au bout de dix minutes, un préposé se présenta.

« Mon pauvre monsieur! Vous n’auriez pas dû essayer d’aller à la toilette seul! Nous aurions pu vous apporter une chaise d’aisance! »

Il essaya de me relever, mais en raison de l’exiguïté du cabinet il ne put réussir. Il alla donc chercher une autre préposée et, à deux, ils parvinrent à me faire tenir debout. La préposée releva mon pantalon, le boutonna et remonta la fermeture-éclair.

Il n’y a rien de tel pour rabattre son orgueil que d’avoir plusieurs témoins de la situation compromettante dans laquelle on se trouve.

Une fois assis dans mon fauteuil roulant, je demandai si je pouvais aller griller une cigarette à l’extérieur.

« Ce n’est pas possible monsieur, me répondit le préposé. Nous devons vous remettre dans votre civière car on vous a trouvé une chambre permanente dans un autre pavillon et on va vous y conduire sous peu. »

Pendant qu’un brancardier poussait ma civière pour me mener à l’ascenseur, je me réjouissais croyant que cette chambre permanente signifiait que j’étais dorénavant un patient « légitime », qu’on déterminerait bientôt la nature de ma maladie et qu’on me donnerait un traitement approprié me permettant de retourner chez moi.

Hélas! Quand le brancardier ouvrit les portes du pavillon de médecine générale où j’allais être hébergé au cours des prochaines semaines, mes narines furent assaillies par une odeur pestilentielle de matières fécales.

Je crus me retrouver au premier cercle de l’enfer de Dante en punition pour mon orgueil.
Lisez la suite de ce récit dans Chroniques hospitalières VIII : Comme on fait son lit, on se couche

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